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« L’art de la mise en scène, le cadrage, l’omniprésence de la fenêtre centrale. »
Après Hyères, Claude-Henry Pollet s’installe au Beausset, où il cherche à tirer le meilleur parti de la lumière du Sud. À sa manière, il fait un voyage similaire à celui d’autres peintres. Dans le même mouvement, Van Gogh passe des mangeurs de patates aux tournesols. Bonnard fait exploser ses couleurs sur la Côte d’Azur. Claude-Henry dédie d'ailleurs à ce dernier plusieurs de ses tableaux. « La lumière vient d’un robinet d’au-dessus de nos têtes, confie-t-il à Brigitte Gaillard, conservateur du Musée d’art de Toulon. Elle n’est pas restituable tant qu’elle n’a pas atteint les objets qui nous renvoient la partie rouge, verte, bleue (...) Par manque de lumière, la partie située au nord de la Loire va développer une recherche sur l’éclat, la brillance et la chaleur du spectre optique, la région Sud-Loire, saturée de lumière, développera les demi-tons, les sous-bois. » (1)
Sa peinture, toujours très structurée, prend des couleurs éclatantes. Ses motifs deviennent plus ludiques, avec des paysages imaginaires, traversés de lianes. Il se lâche, tout en élégance, mais avec une réelle fantaisie.
À sa façon, il cède à la tentation méridionale à l’indolence. D'autres éléments interviennent dans cette évolution. Il atteint la soixantaine et peine à trouver du travail rémunéré. Il vit au jour le jour, là où il trouve le gîte et, si possible, le couvert. Pourquoi s’en faire ? Autant lâcher prise puisqu’il n’y a pas d’autres issues. Cette philosophie de l'existence, il la transpose en peinture.
Au Beausset, il peint « Capri avant l'orage », un tableau qui résonne comme un manifeste. Les carrés de couleurs, toujours très présents, entourent un nuage, rare intrusion figurative dans ses tableaux, issue de sa pratique de la gouache. Désormais, dit-il dans ce tableau, il regarde le ciel. Une barre de fer finement forgée qui traverse le tableau, donne à penser que la vue est capturée depuis un lit.
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Sa peinture devient volontairement joyeuse. Elle se rapproche des travaux d’un autre artiste belge, Pierre Alechinsky, fondateur du mouvement d’après-guerre CoBrA (Copenhague, Bruxelles, Amsterdam), qui entoure ses créations de frises décoratives. Son ami André Rives écrit : « De Pierre Alechinsky, il reprend l’art de la mise en scène, le cadrage, l’omniprésence de la fenêtre centrale, les rubans et les arabesques de la frise décorative. La filiation s’arrête là : Alechinsky est un peintre gestuel, expressionniste, Pollet un coloriste. Chez lui, les arabesques, les rubans, les écritures et les damiers qui entourent les fenêtres centrales et parfois la pénètrent sont des éléments picturaux à part entière qui apportent dynamisme et équilibre à la composition. » (2)
Ses vagabondages picturaux explorent maintes formes de damiers puis de fumerolles. Il délaisse la rigueur de la géométrie des photos aériennes au profit d’assemblages oniriques, toujours très colorés, où se mêlent écriture, formes et lignes. Le beau et le joyeux deviennent ses nouveaux horizons.
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Tableau intrigant, destin incroyable
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En 1995, il s’installe à Toulon, dans le quartier du Jonquet. Il passe le plus clair de son temps dans le parc situé en bas de son immeuble, le magnifique jardin du Las, créé au XIXe siècle par des marins toulonnais qui y plantèrent des essences exotiques ramenées d'Orient, d'Océanie et d'Amérique. Le peintre renoue avec les paysages, qu’il réalise à l’huile. Il peint les arbres du parc, dont les marronniers et les cèdres. Ses tableaux sont de grands formats, à l’image des arbres qu’ils représentent. L’un de ces tableaux comprend une maison abandonnée, représentée en arrière-plan. Cette villa aux volets clos émerge au bout d’une allée de grands arbres. L'allée elle-même est également abandonnée, dévorée par une végétation spontanée.
Ce tableau intrigant, intitulé « Marronniers avec habitation », connaîtra un destin incroyable. En 2011, six ans après le passage du peintre, le jardin est réhabilité par le département. La maison abandonnée est restaurée de fond en comble. Elle est désormais flanquée d’une annexe suffisamment spacieuse pour accueillir le Muséum du Var, qui vient s’y installer avec ses collections de minéraux, de fossiles et d'animaux empaillés.
Par un caprice du hasard, Claude-Henry nouera une amitié très forte avec le responsable administratif du musée, André Rives, qui y termine une carrière passée dans les services culturels de la ville et ses différents musées. André pousse le muséum à acheter « Marronniers avec habitation » ainsi qu’un autre grand tableau, « Le Cèdre », malheureusement sans succès. L’établissement ne dispose pas de budget pour un tel achat.
Le musée finira cependant par acquérir les deux tableaux, en 2013, grâce à une donation de la famille Pollet répondant à une demande d’André Rives. Aujourd’hui, « Le Cèdre » et « Marronniers avec habitation » sont accrochés dans l’entrée du musée, physiquement présents juste derrière les volets clos de la mystérieuse maison abandonnée ! Ils accueillent désormais les visiteurs avec une représentation flamboyante du jardin qu’ils viennent de traverser.
Notes
1. Brigitte Gaillard, Pollet-Fourès, Deux parcours contemporains [Exposition, Musée d’art de Toulon, 10 juin-17 octobre 1999], Toulon, 1999 (OCLC 496737527).
2. Claude-Henry Pollet ou le musicien de la couleur [53 œuvres de la donation Claude-Henry Pollet à la ville de La Seyne-sur-Mer], sous la dir. de Béatrice Tisserand, collab. de André Rives, La Seyne-sur-Mer, Maison du patrimoine, 2016.
Crédits photos
Capri avant l'orage, Le cartouche de Bonnard, Terrasses au Boboli : Cyrus Pâques
Marronniers avec habitation, Cèdre Le Jonquet, photo muséum : Jean-François Pollet